Caroline Poirier, une pionnière des paniers bio en Estrie

Les visages du Haut, c’est la rencontre de citoyennes et de citoyens qui sortent des sentiers battus. À travers leur regard, leur histoire et leurs projets, Ose le Haut rencontre des personnes passionnées qui font de leur communauté locale un endroit où il fait bon vivre. Cette semaine, Ose le Haut a rencontré Caroline Poirier, agricultrice et propriétaire de la ferme Croque-Saisons à Lingwick ainsi que présidente de la Coopérative de l’agriculture de proximité écologique (CAPÉ).Sous le soleil du premier jour arborant les signes du printemps, Ose le Haut s’est rendu dans le canton de Lingwick, petite municipalité de 400 personnes. Sur le bord de la route 108, Caroline Poirier nous a accueillis dans sa serre, en pleine préparation des semis. On a eu droit à une rencontre amicale et chaleureuse -surtout qu’il faisait 27 degrés Celsius à l’intérieur de la serre.

DÉTERMINÉE À VOULOIR NOURRIR LE MONDE: DE LA CÔTE-NORD À LINGWICK

Ayant grandi sur la Côte-Nord, Caroline Poirier n’était pas prédestinée à devenir agricultrice. Habituée à la mer et à l’horizon débordant, c’est à 19 ans qu’elle se découvre une passion pour la terre. Elle débarque ainsi à Montréal pour des études en agronomie à l’Université McGill – mais l’autre Université McGill, celle quelque part à Sainte-Anne-de-Bellevue. Elle savait qu’elleCaroline Poirier dans sa serrevoulait faire de l’agriculture maraîchère diversifiée soutenue par la communauté. Son projet était clair et c’est grâce à ce projet très précis qu’elle embarqua Sébastien, lui aussi étudiant en agronomie dans l’aventure d’une vie, et maintenant père de ses enfants.Nous sommes en 2007. Leur diplôme pas encore en poche, le nouveau couple commence à magasiner une terre. Alors que l’agriculture de proximité soutenue par la communauté faisait ses premiers adeptes dans la région métropolitaine, les terres autour de Montréal étaient beaucoup trop chères pour ces deux jeunes remplis de rêves, mais vides d’argent. Le climat du Bas-Saint-Laurent et des régions plus au nord est difficile à gérer pour l’agriculture. Leur regard se tourne vers le Centre-du-Québec et l’Estrie. Quand on commence en agriculture – et surtout dans l’élevage, pouvoir habiter sur sa terre est essentiel. C’est ainsi qu’ils ont visité une belle ferme avec une magnifique maison dans le Canton de Lingwick. L’emplacement était parfait: à moins d’une heure d’un grand centre, ce qui leur permettrait d’écouler leur stock; une belle maison et un bâtiment d’élevage.C’est là, dans le Canton de Lingwick que Caroline Poirier allait passer ses futures années. Aidé par la Financière agricole du Québec et le Centre local de développement du Haut-Saint-François, le jeune couple démarre la ferme Croque-saisons. «Nomme-moi un légume qui pousse au Québec et on l’a!» . La ferme Croque-Saisons cultive une quarantaine de variétés de légumes certifiés biologiques.  «Dans un circuit court, l’idée c’est d’avoir une offre la plus large possible!. C’est pourquoi la ferme Croque-Saisons offrira des bleuets, des fraises, des pommes, des poires, des prunes!» Et ce n’est pas tout, pendant 10 ans, la ferme Croque-Saisons faisait de l’élevage d’agneau et maintenant, le couple d’éleveur en sont à élever 10 vaches à veau!«On était dans les premiers à faire du bio dans la région et à offrir des paniers à Sherbrooke. Je me souviens que le Coq à l’âne de Bury commençait aussi. C’est tout un changement de culture qui s’opérait parce que des paniers, il n’y a en avait presque qu’exclusivement à Montréal!» Précurseure en Estrie, Caroline Poirier allait inspirer toute une communauté.Vue de la Ferme Croque-saison

Lingwick accueillante et tissée serrée

«Rapidement, on a pris contact avec nos voisins. On a été super bien accueilli. Au début il y a le doute dans leur tête, ils nous voient comme des étrangers qui n’ont pas de background en agriculture. Mais dès le début, nos voisins et d’autres agriculteurs nous ont aidé. Un voisin est même venu labourer notre parcelle de départ!» Daniel Audet, de la Ruée vers Gould, leur a tout de suite offert un kiosque pour vendre leurs légumes au coin de la 108 et de la 247. Peu de temps après, la communauté de Lingwick, avec l’aide de Carole Lapointe et de Caroline, a mis sur pied le Marché de la petite école. Un beau lieu rassembleur s’est ainsi créé: «Au marché, on a des gens qui vendent leurs produits et des citoyens et des citoyennes engagées pour l’agriculture locale. Mais on a aussi la communauté qui se réunit simplement au Marché pour jaser.»Les petites communautés comme Lingwick, où tout le monde se connaît, c’est quelquefois gênant et intimidant, mais pour Caroline Poirier, cela fut un moteur d’implication. «J’ai rapidement été sollicitée pour être conseillère municipale! L’implication en politique, c’est quelque chose qui m’anime.» Une conseillère qui est restée en poste 8 ans, et qui s’est impliquée dans plein de beaux projets municipaux. Le couple d’agriculteurs s’est aussi reconnu dans la Nuit du pont couvert pour laquelle ils ont donné bénévolement leur temps. L’agricultrice de Lingwick aimerait voir émerger d’autres projets pour sa région «On a fait de l’agneau pendant 10 ans.  Quand l’abattoir de Donald et Johanne Rousseau a été la proie des flammes, c’était triste pour la région.  C’était I’idéal d’avoir un abattoir et une boucherie C1* à côté. C’était pas un critère en s’installant, mais c’était un avantage incroyable.» Caroline souhaite voir émerger des projets locaux qui répondent à des besoins concrets des agriculteurs et agricultrices: «Il nous faudrait des infrastructures collectives nécessaires à l’agriculture comme de l’entreposage, pour rendre la conservation post-récolte plus efficace. Des achats collectifs de machines plus performantes. Des choses qu’individuellement, on ne peut pas se payer.»

L’agriculture, un enjeu local et national

Caroline Poirier ne se contente pas de s’impliquer localement, depuis 4 ans, elle est présidente de la Coopérative pour l’Agriculture de Proximité Écologique (CAPÉ). Depuis 2020, c’est l’organisme qui s’occupe du Réseau des fermiers de famille qui permet aux consommateurs de s’approvisionner de légumes frais en s’engageant auprès d’une ferme de leur région pour la saison.Semis à la ferme Croque-SaisonLa CAPÉ, c’est aussi de la formation, du réseautage, de l’éducation et de la mobilisation citoyenne. Et c’est aussi de la représentation politique! Pour la présidente de la CAPÉ, l’agriculture est un enjeu qu’il faut penser collectivement. «La perception du grand public, c’est que l’agriculture biologique de proximité a tout ce  qu’il faut pour réussir. Mais quand on réussit, c’est qu’on se donne corps et âme. Les charges mentale et physique sont importantes. Le modèle de l’agriculture actuel est en vigueur depuis les années 50, et si on veut proposer autre chose, il faut ouvrir le modèle et aider les autres approches en agriculture.»Les yeux pétillants, elle ajoute: «Il faut réfléchir au mode d’aménagement de la zone agricole. Le territoire agricole est précieux, on veut favoriser la culture de nos terres, en favorisant la relève, tout en ne favorisant pas la spéculation. Il faut ouvrir la boîte qu’est la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles. Dans le cadre de la loi actuelle, les possibilités d’agriculture de proximité ou à plus petite échelle ont été grandement restreintes par la jurisprudence. La commission* (Commission de protection du territoire agricole – CPTAQ) est tenue par leur décision précédente. Aujourd’hui, malgré la loi, il y a de grandes superficies qui sont converties en zones urbaines, commerciales ou industrielles dans les secteurs les plus convoités. Les gens qui sont en moyen arrivent à leur fin. Mais pour la relève, ce n’est pas évident. Il y a tellement d’obstacles à l’établissement: l’accès à la terre, le coût à l’hectare, la disponibilité des petits lots… 5 Hectares, c’est pas énorme, c’est pas courant sur le marché. On voit plus des terrains  de 100 hectares et plus. Si tu veux faire de l’élevage, tu ne peux pas habiter loin de ta terre, il doit y avoir une maison pour être proche de tes animaux!»Fière de ses convictions politiques et sociales, et amoureuse de la terre qui a vu naître ses enfants, Caroline Poirier est une inspiration pour la relève agricole. Le visage souriant de Caroline Poirier est le visage de toutes les agricultrices du Haut-Saint-François, qui jour après jour nourrissent des centaines de personnes.Grange de la ferme Croque-saison à Lingwick

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